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22 avril 2024Allaitement : Isabelle Filliozat réagit au rapport du WBTi France 2024
Si on vous demandait voudriez-vous faire quelque chose qui améliorera votre sommeil, diminuera le risque de mort inopinée de votre nourrisson, l’aidera à grandir, lui permettra de lutter contre la covid 19 et autres infections, diminuera le risque de le voir développer une maladie auto immune, lui permettra de mieux réguler ses émotions, de mieux réussir à l’école puis dans la vie puisque les effets se font sentir jusqu’à l’âge adulte… Oh, et puis, pour vous, ça diminuera le risque que vous développiez un cancer du sein ou la maladie d’Alzheimer… Quoi de plus ? vous contribuerez à la prévention du réchauffement climatique, protègerez la biodiversité et préserverez les ressources naturelles…. Tentant non ? Pourtant, en France, on vous cache ces informations. Pourquoi ?
En 2022, la France est devenue championne du monde… de l’incidence du cancer du sein. Serait-ce en lien avec le fait que c’est dans notre pays qu’on allaite le moins et le moins longtemps ? Si comme toute affection, le cancer a de multiples causes inter mêlées, il est démontré que l’allaitement au sein constitue un facteur de protection, comme aussi du cancer de l’utérus et des ovaires et même les maladies cardiovasculaires, de Parkinson ou d’Alzheimer. Oui, allaiter est bon pour la mère autant que pour le bébé. Certes ce ne sont que des statistiques et allaiter ne vous garantit pas une totale immunité. Mais les femmes ont le droit de savoir. La France est un pays riche. On se serait attendu à ce que les bébés y meurent moins qu’ailleurs. Mais notre taux de mortalité infantile nous place au 27ème rang (sur 38) des pays de l’OCDE. Les campagnes de prévention de la mort inopinée du nourrisson mentionnent la position sur le dos, le carnet de santé mentionne le couchage dans la chambre des parents (mais nombre de professionnels continuent d’émettre des réserves à ce cododo) mais le troisième facteur de prévention scientifiquement validé dans la prévention des Morts Inattendues du Nourrisson n’est jamais mentionné : l’allaitement au sein exclusif pendant les 6 premiers mois.
En France on insiste à juste titre sur le droit des femmes à choisir d’allaiter au sein ou au biberon. Mais les parents, le grand public et même les professionnels de santé sont -ils suffisamment informés pour que ce choix en soit vraiment un ? Le rapport 2024 de WBTI qui vient d’être publié montre à l’évidence que la réponse est non. La WBTI (World Breastfeeding Trends Initiative) Initiative mondiale de Suivi des Evolutions de l’Allaitement a été créée pour aider les pays à évaluer les forces et les faiblesses de leurs politiques, et à mesurer les progrès de la mise en œuvre de la Stratégie Mondiale pour l’Alimentation du Nourrisson et du Jeune Enfant (ANJE) dans tous les pays du monde. Déception, non seulement la France reste mauvaise élève, mais son score régresse par rapport à 2017 ! Tout le monde sait plus ou moins que le lait maternel est « meilleur » pour l’enfant. Mais comment exactement, pourquoi, et à quel point ?
On dit aux professionnels que l’allaitement est un facteur de protection de la bronchiolite chez le nourrisson, mais on ne l’écrit pas sur les flyers remis aux parents. Pourquoi ? Permettant de développer une meilleure immunité, le lait maternel protège des virus comme des bactéries, son rôle protecteur est avéré dans les infections respiratoires infectieuses et virales, oui, même pour la COVID 19. L’allaitement au sein protège aussi les enfants des maladies non transmissibles telles que l’obésité, et le diabète, les maladies atopiques et auto-immunes. Tous les enfants élevés au biberon ne deviennent pas obèses ou diabétiques, car de multiples facteurs interagissent, mais pour quelle raison ces informations essentielles sont-elles tues aux parents ?
Pourquoi n’explique-t-on pas aux parents que l’action même de téter construit la mâchoire et tout le visage et ainsi favorise une bonne respiration, un bon sommeil, de meilleures capacités de régulation émotionnelle et d’apprentissage ?
Certains racontent qu’il y aurait une pression à l’allaitement au sein en France, que l’on culpabiliserait les mères qui préfèrent le lait artificiel… Si c’était vrai, on verrait des chiffres plus importants. La réalité est que le taux d’allaitement a régressé depuis dix ans, et pourtant il y a de plus en plus de mères qui désirent allaiter !
On nous a vendu le biberon comme une conquête féministe, mais c’est tout le contraire. On a fait croire aux mères qu’elles dormiraient mieux si le papa donnait le biberon la nuit, les études montrent que ce n’est pas le cas. Tout parent est en droit de savoir que les scientifiques ont mis en évidence un gain de 45 minutes de sommeil par nuit quand on allaite au sein par rapport au biberon.
Sur la question de l’allaitement, on ne peut pas publier une information scientifique sans être suspecté de culpabiliser les mères… On marche sur la tête. Depuis quand être mieux informé empêche un choix ?
Ce rapport 2024 de WBTI montre qu’en France, les femmes ne sont pas correctement informées sur l’allaitement au sein. C’est scandaleux et dramatique pour la société entière, car le défaut d’allaitement coûte cher en frais médicaux par la suite (Il a été estimé que 13 milliards de dollars par an pourraient être économisés aux USA si 90 % des mères allaitaient exclusivement pendant six mois).
Sous prétexte de liberté, comme d’habitude, on infantilise les femmes. On pense à leur place. On méprise leurs besoins.
Dans la réalité, une majorité de mamans annoncent leur désir d’allaiter, mais elles arrêtent vite, parce qu’elles ont mal, parce que c’est compliqué, parce qu’elles ne sont pas soutenues et mal conseillées. Nous sommes dans un cercle vicieux. Il y a si peu de femmes qui allaitent, pourquoi former des professionnelles pour répondre à leurs questions et les guider ? Alors les femmes continuent de souffrir quand elles donnent le sein, et se propage l’idée qu’allaiter est compliqué et douloureux.
En France, le biberon est la norme et la femme qui allaite la courageuse exception. Et non, ce ne sont pas les mères qui donnent le biberon qui sont le plus culpabilisées.
Pourquoi les recommandations d’allaitement exclusif pendant les six premiers mois ont-elles disparu du guide de l’allaitement 2023 publié par Santé Publique France ?
Pourquoi n’allonge-t-on pas le congé maternité ? Oui, une mère qui allaite consacre une heure de plus par jour à nourrir son enfant. C’est une réalité à mesurer. Les femmes ont besoin de soutien.
Pourquoi n’y a-t-il toujours pas dans notre pays de lieux publics pour allaiter confortablement dans le respect du code de l’OMS ?
Pourquoi toutes les sage-femmes, infirmiers et infirmières, médecins, ne sont-ils pas formés à l’importance de l’allaitement ?
Pourquoi un suivi par une conseillère en lactation n’est-il pas systématiquement prévu et remboursé ?
Comme d’habitude ce sont les femmes qui trinquent et comme d’habitude les plus pauvres et les moins informées les premières.
Revendiquons de pouvoir exercer un choix éclairé. Revendiquons le droit à la protection de notre santé et de celle de notre bébé. Allaiter au sein ne doit plus être un parcours du combattant.
Pour accéder au rapport : cliquer ici.
Isabelle Filliozat