Donne-moi des elles : podcast et interview d’Isabelle Filliozat
18 janvier 2024Merci !
22 avril 20248 Mars — Journée internationale des droits des femmes
Aujourd’hui est un jour pour faire le point sur le droit des femmes. Globalement, nous avançons, mais chacune de nos avancées nous ouvre à de nouvelles prises de conscience.
Saluons tout d’abord une grande victoire : depuis quelques jours le droit à l’avortement est inscrit dans la constitution. C’est historique. La liberté de recourir à l’Interruption Volontaire de Grossesse est désormais garantie… Nous espérons que sur le terrain, chaque femme sera écoutée, entendue, suffisamment informée de ses droits car encore de trop nombreuses femmes notamment celles en situation de précarité n’ont pas accès au libre choix faute d’information ou de l’accompagnement dont elles auraient besoin.
Des avancées aussi sur le front des violences sexuelles. #Metoo, #metooinceste, ont ouvert la parole, mais montrent l’étendue du travail à accomplir pour que change notre culture de domination masculine. De plus en plus de femmes osent porter plainte et sont crues lorsqu’elles disent avoir été victimes. Mais la condamnation des agresseurs reste marginale. D’ailleurs, on parle du nombre de victimes, 1 femme sur 5 a subi des violences sexuelles, et combien d’agresseurs ? On n’en parle pas… Pourquoi ? Un chiffre qui ferait trop peur ? Et… Où est la prévention ? L’inceste commence souvent dès l’âge de deux ans. C’est dès la maternité que la prévention de l’inceste doit débuter. C’est toute la société qui doit exercer sa vigilance. 3 enfants victimes d’inceste par classe… Et lorsqu’un élève déborde à l’école, se montre agressif, au lieu de le punir et de l’exclure, si on s’intéressait à ce qu’il vit chez lui ?
La notion de féminicide est désormais reconnue. Mais notre réponse sociale n’est pas à la hauteur. De nombreuses femmes décèdent sous les coups de leur conjoint alors même qu’elles ont porté plainte. Dans “Vivantes !” l’excellent documentaire de Claire Lajeunie, sorti sur Canal+ le 5 mars, Sarah Baruck nous rappelle que les victimes de féminicide ne sont pas des chiffres, elles ont un nom, une histoire… Sarah Baruck (auteure de 125 et des milliers, ed. Harper Collins) a vécu l’emprise de son mari pendant dix ans. Elle a pu fuir, mais elle sait qu’elle aurait pu être l’une d’elles, alors elle déploie sa créativité pour sauver celles qui sont encore sous emprise. A voir !
La violence n’est évidemment pas seulement du côté des hommes, et dans les violences conjugales, la dynamique est souvent systémique, c’est la violence qui est mauvaise, pas les hommes. Reste que 16% des femmes sont victimes de violences physiques et sexuelles, et 6% des hommes. Les droits des femmes ne s’opposent pas aux droits des hommes, les femmes ne s’opposent pas aux hommes, mais au masculinisme qui enferme dans une spirale de violences visibles et invisibles autant les femmes que les hommes. C’est la culture de la domination masculine qui est à transformer. Cette culture, c’est la nôtre. Alors nous ne la voyons pas. Nous pensons “naturelles” nos réactions, nos conceptions.
Défendre les enfants et défendre les femmes… C’est le même combat. 80% des victimes sont des mères.
8 à 10% des femmes enceintes seraient victimes de violences de la part de leur conjoint.
75% des violences sont liées à des enjeux de parentalité.
Une prise de conscience de toute la population est nécessaire, d’autant que les violences s’inscrivent dans un continuum. C’est à la base de la pyramide la culture de la domination masculine qui permet le féminicide au sommet de la pyramide des violences.
Egalité de droits ne signifie pas égalité de traitement. C’est l’équité que nous devons obtenir, pas l’égalité en tout. Car sous prétexte d’égalité, les femmes sont en réalité discriminées. Un livre à lire ? Femmes invisibles de Caroline Criado Perez. Dans cet ouvrage, des choses que l’ont sait, comme l’absence notoire des femmes dans les essais cliniques menés par les labos sous prétexte que leurs cycles menstruels “perturbent” les résultats. Mais l’auteure nous permet de mesurer l’impact sur notre santé de cette absence de données médicales. Elle nous décrit aussi toutes sortes de petits détails du quotidien auxquels on ne pense guère, comme la différence des déplacements d’un homme et d’une femme…. Une femme n’est pas un homme. S’il y a toutes sortes de femmes et toutes sortes d’hommes, il reste que notre sexe présente des différences. Quand une femme frissonne dans des bureaux où la température a été réglée selon une norme masculine, quand les étagères sont systématiquement posées à hauteur d’homme, quand les sièges des voitures sont prévus pour les hommes, quand les manuels médicaux ne répertorient pas leurs symptômes spécifiques de crise cardiaque, quand les normes de sécurité dans les transports ne tiennent pas compte du corps des femmes, quand l’industrie pharmaceutique ne les engage pas dans les essais cliniques, les femmes souffrent. Caroline Criado Perez nous souligne combien les femmes sont passées sous silence, mais aussi comment elles sont invisibilisées par simple manque de recueil de données générées.
Quelques exemples de l’invisibilité des femmes ? Sur dix manuels d’initiation aux sciences politiques, seulement 10,8 % des pages de texte font référence à des femmes. Les compositrices sont carrément exclues des programmes d’histoire de la musique. Elles sont pourtant plus de 6000. Sur 25 439 personnages télévisuels pour enfants, 13 % seulement des personnages non humains étaient féminins. Au cinéma, les hommes ne se voient pas seulement attribuer davantage de rôles, ils bénéficient de deux fois plus de temps de passage à l’écran, et de presque trois fois plus quand le rôle principal du film est tenu par un homme, ce qui est le cas dans la plupart des films. Caroline Criado Perez pose son regard partout et compte, observe, analyse. C’est fascinant. Pour se défendre, certains décideurs osent dire que ça couterait trop cher de se préoccuper des femmes… pourtant vous découvrirez dans le livre comment la prise en compte des habitudes des femmes pour planifier une politique de déneigement a fait économiser 3 millions d’euros à une ville suédoise. Les femmes ont des besoins spécifiques. L’égalité des droits ne signifie pas que nous devons être traitées comme des hommes. Si un livre peut nous permettre de mesurer combien notre culture est encore profondément dominée par les hommes, c’est celui-là.
L’autre livre que je voudrais signaler à votre attention en ce jour des droits des femmes, c’est Choisir d’être mère, tout ce qu’on ne vous a pas dit sur la parentalité, de Renée Greusard. Je l’ai lu avec le sourire aux lèvres du début à la fin, parce qu’elle dit notre quotidien, notre vécu intime, ce que personne ne dit jamais, tout ce qu’on aurait dû nous dire avant la naissance de nos enfants, avant la conception, même. Elle dit ce que toute la société doit entendre sur le vécu des mères. Renée Greusard parle sans fard de la réalité de ce que nous vivons toutes ou presque toutes. Être femme, ce n’est déjà pas simple dans notre société, mais être mère ! Parce que oui, un enfant c’est merveilleux, mais c’est aussi beaucoup de galères. Certaines de ces galères pourraient être évitées, d’autres non. Le cri de l’auteure, c’est surtout qu’il y en a marre de faire semblant et de se taire, marre de souffrir en silence en se sentant honteuse de ressentir tout ça… Un ton enlevé, chaleureux, parsemé d’informations scientifiques. Renée Greusard évoque toutes sortes de sujets, notre corps, son sang, les couches pas que pour bébé, nos détresses, les injustices, les congés et l’immense solitude de la mère face à son bébé, les maladies enfantines dont on ne savait même pas qu’elles existaient… Tout le bouquin est génial. (hormis bien sûr à mes yeux la pointe de critique sur la parentalité positive 🙂 )
Je la rejoins dans l’idée que des congés parentaux pris à égalité par les deux parents non seulement permettraient plus d’égalité professionnelle, mais aussi plus d’égalité dans le couple parental. La mère à la maison apprend à décoder les signaux de son bébé, maman et bébé s’ajustent, elle sait répondre au quart de tour… le bébé ne va pas se donner la peine d’enseigner à l’autre parent moins présent à le décoder. Il pleure et réclame maman… (je simplifie bien sûr, c’est de la caricature) Renée Greusard dénonce le congé maternité comme “un truc bien huilé du patriarcat”. Oui, c’est ainsi que nous devenons les référentes de l’enfant, celles qui vont porter la charge mentale, la charge physique, la charge émotionnelle et la charge sociale…. Stop. Les hommes ont besoin d’avoir le loisir d’apprendre à prendre soin des bébés, des enfants. Certains s’impliquent déjà beaucoup. Ils ont droit à notre confiance. Et si nous prenions un week-end off et laissions les enfants avec leur père ? Une grève très suivie de toutes les femmes islandaises a fait basculer le pays vers plus d’équité. Alors, on ose ?
Isabelle Filliozat